lundi 26 novembre 2012

Nouvel album de Vox Nostra - 2ème partie : interview de Pierre Minvielle

Entrevue réalisée en partenariat avec Fuzzine.

Ne reculant devant aucun sacrifice, j'ai rencontré le beau et sémillant (comme dirait l'autre) Pierre Minvielle-Sébastia qui, après avoir collaboré quelques temps avec la légende zeuhl Eider Stellaire dans les années 80, dirige actuellement les progueux latinistes de Vox Nostra. Il est également l'auteur de plusieurs ouvrages de pédagogie des claviers (comme par exemple ce volume recommandé par James) et animateur sur une radio locale (RVE)...

Mr Prog (pour Fuzzine) : J'ai lu dans un journal il y a quelque temps qu'un réseau de trafic de drogue avait été démantelé aux alentours de ton bled. Je me suis dit alors que si la sortie du deuxième album de Vox Nostra tardait, c'est peut-être parce que tu étais en taule. J'avais tort ?...

Pierre Minvielle-Sébastia : Mon cher Mr Prog, la pratique quasi-ascétique du chant ne nous permet point de participer à ces trafics illégaux...



Mr P : Tu te définis comme un artiste progressif. Le prog est redevenu moins ringard qu'à une époque, mais ça reste une niche restreinte et un peu ingrate, qu'est-ce qui t'attire là-dedans ? Quels liens as-tu avec d'autres artistes de la scène prog ?

PMS : Après tout ce sont les critiques du dernier disque qui nous ont mis dans le « prog ». C’est une classification pratique (en fait c’est du rock néo-classique). Disons que j’essaie de faire ma musique librement avec les moyens du bord… Ça peut évoluer vers un genre plus accessible, ce sera le cas avec le troisième album en français, et je n’aime pas trop les sophistications. J’ai pas trop de liens avec les concurrents…

Mr P : Tu joins à tes envois postaux de CDs une étiquette "Fabriqué en France" (enfin moi j'y ai eu droit, et je t'avouerai que ça m'a bien fait rigoler). Pourquoi cette marque de fierté nationale ? Est-ce un avantage ou un inconvénient d'être français pour un musicien, en particulier dans le genre progressif ?

je l'ai scannée pour qu'on ne vienne pas me traiter de mytho
PMS : C’était une blague bien sûr, mais nous sommes peu à défendre la « mélodie ».
Nous pouvons ici faire aussi bien qu’ailleurs, et il est vrai qu’une certaine identité néo-classique revient à la France.
Dans le genre « grosse artillerie » il y a déjà largement ce qu’il faut.
On aime bien les artistes français… à l’étranger.
Mais ici, on manque de moyens pour cette musique.

Mr P : Tu m’as laissé entendre que tu avais refusé un poste de clavier au sein de Magma pour te consacrer à Vox Nostra. Pas de regrets ?

PMS : Non, mais j’ai passé une audition à un moment de remaniement, c’était pour faire des synthés, et puis tu as pu entendre qu’il n’y a plus de synthés dans les orchestrations. C’est devenu bio.

Mr P : J’aime bien Magma mais je n’ai pas suivi leurs sorties récentes donc je ne sais pas exactement de quoi tu parles. Bon, et si on te proposait de participer à une reformation d’Eider Stellaire (sachant que tu travailles déjà actuellement avec le guitariste, Jean-Claude Delachat…) ? Est-ce une idée que quelqu'un a déjà émise ?...

Eider Stellaire sur scène dans les années 80...
PMS : Eider Stellaire reste dans trois disques déjà.
Il n’est vraiment pas question de le remonter pour le moment…

Mr P : Quels souvenirs gardes-tu de ton passage dans Eider Stellaire ? Quels étaient vos rapports avec les autres groupes de la scène Zeuhl / RIO de l'époque ?

PMS : C’est mon meilleur souvenir de jeunesse… (il verse une larme…)
L’ambiance était bonne avec le peu de groupes apparentés que nous voyions à cette époque, un peu familiale. Et puis Eider a fait pendant un an la première partie de Magma. 

Les membres d'Eider Stellaire terrés (au sens propre) dans leur local de répétitions un peu particulier. PMS : "Voilà, on est dans le puits, tu en vois la voûte, le conduit était au fond à droite". De gauche à droite : Jean-Claude Delachat (guitare), Pierre Gérard-Hirne (claviers titulaire), Pierre Minvielle (claviers remplaçant), Véronique Perrault (voix), Michel Le Bars (batterie, futur Offering), Ann Stewart (voix, future Shub Niggurath) qui voulait pas être sur la photo, et Patrick Singery (basse).

Passage de témoin entre deux Pierre pianistes...
Mr P : Le premier album d’Eider Stellaire a été réédité l'an dernier en CD par Soleil Zeuhl. Or il était de notoriété publique que les masters avaient été détruits par Michel Le Bars (à coups de hache ou au feu, selon qui raconte l’histoire…), alors comment cela a-t-il été rendu possible ? Est-il prévu de rééditer de la même manière les deux autres albums du groupe (en particulier, donc, celui sur lequel tu joues) ?

 

PMS : Oui, la légende… c’est le guitariste Jean-Claude Delachat qui avait pris l’heureuse initiative de numériser les disques. Le Bars procède d’une relation amour-haine avec sa création. C’est un breton qui a le caractère rocailleux.
Je souhaiterais vivement qu’il édite les deux autres disques, très intéressants et encore actuels. En fait je joue juste un solo de synthé sur le troisième…

Mr P : Il me semble que c’est plutôt sur le deuxième. Enfin bon... Entre la période Eider Stellaire et Vox Nostra, tu as mené un trio de jazz. Qui étaient ses musiciens (et quel était le répertoire) ? N'auraient-ils pas pu participer à Vox Nostra ?

PMS : J’ai fait beaucoup de choses, notamment le métier du jazz, des compos, etc. Sans grande répercussion sur l’avenir. Mais cela fait partie de la formation d’un musicien. J’ai même participé à une comédie musicale de variété, écrit pour le spectacle, le film, c’est aussi ma formation.
Un musicien de jazz est le bienvenu dans Vox, mais il doit groover sec.
Le disque est une chose, une projection sur scène sera très différente.

Mr P : Vox Nostra n'était-il pas conçu à l'origine pour être un groupe de scène ? Sauf erreur de ma part vous n'avez fait que 2 concerts en 5 ans, à chaque fois avec une rythmique sur bande. C'est un peu gênant ?...

Vox Nostra sur scène dans les années 2010...
PMS : Il faut le temps de définir un style dans ce tumulte là.
Ça ne se fait pas en un an, certes. J’attends un gros plan pour réunir d’autres gens autour d’un tel répertoire, assez lourd à monter. Sinon, il est difficile de trouver des personnes assez formées pour jouer les partitions de Vox. Mais tu as raison, il y a de la scénographie dans les partitions. C’est pourquoi certains morceaux sont longs. Par exemple, un changement de costume ou une chorégraphie réclame un pont musical. Nous avons l’espoir de monter ça un jour, en dur.

Mr P : La musique de Vox Nostra se voulant spirituelle et pacifique, n'aurais-tu pas plutôt intérêt à te passer totalement de section rythmique, comme pouvaient le faire par exemple Wapassou ou Popol Vuh à certaines périodes de leurs carrières ?

PMS : Spirituel n’est pas un gros mot, disons que cela se limite à une proposition. Mais quand tu suis les textes tu t’aperçois que tout n’est pas si pacifique que ça, et que le cycle de la violence reprend. Le morceau « Anima » est la déclaration d’amour d’un barbare par exemple… Il fait plutôt la guerre à la guerre, car il a réfléchi avec son esprit, d’où le mot « spirituel », et pas « religieux ». Le lien se fait plus tard (religere : relier en latin) sur un status-quo social. Ni bisounours, ni alleluïa, nous sommes dans la chronique d’un temps qui se répète, voilà.
Tu as raison pour certaines rythmiques, on pourrait s’en passer, mais je voulais donner un style « scène » à l’album.

Mr P : Revenons plus précisément au nouvel album. Il a longtemps été annoncé sous le titre "Ubi es" et paraît finalement comme "éponyme" (ou "homonyme"). La chanson "Ubis es" (dont je sais qu'elle existe pourtant) n'est pas dessus, par contre il y a dedans une chanson intitulée "Anima", qui était le titre du premier album. Et aussi une chanson qui s'appelle "Vox Nostra"... Alors, c'est quoi ce bordel ?

PMS : « Ubi es » a été complètement loupé comme morceau, il m’insupporte, c’était lui le bordel.
De nouveaux morceaux ont poussé le temps de la réalisation de l’album certains morceaux vers la poubelle de l’histoire… Donc c’est "Vox Nostra", le morceau éponyme de l’album éponyme qui a été consacré (encore un terme liturgique). Tu es toi même tombé dans le labyrinthe. Et puis combien de fois dans ta vie as-tu l’occasion de dire deux fois « éponyme » dans la même phrase, hein ?

Mr P : Une fois c’est déjà beaucoup. La gestation de cet album a été très longue, en partie au moins à cause des difficultés que tu rencontres régulièrement dans le recrutement de tes collaborateurs (au fait, ne me dis pas que tu as encore perdu toutes tes chanteuses ?...). Es-tu satisfait du résultat ? As-tu dû modifier tes plans ou faire des concessions lors de l'enregistrement ?

PMS : J’ai obtenu ce que je voulais avec les personnes qui étaient présentes. J’aime rencontrer des gens nouveaux aussi. Mais ça ne se bouscule pas trop au portillon pour le moment. Dès qu’on aura du succès avec les disques (!), je pense qu’on sera plus sexy tout d’un coup.
On a eu quand même des galères avec les chœurs et la technique, genre un mix à refaire, tu vois, mais bon, c’est sorti parce qu’il faut que ça sorte.
Pas de concessions, pourquoi en faire, ça se saurait…

Jean-Claude Delachat, Pierre Minvielle, et Mickaël Drouin (voix ténor sur le 2ème album)
Mr P : Tu signes toutes les paroles et musiques. Les musiciens qui t'accompagnent (je pense en premier lieu à Delachat) n'ont-ils rien à proposer au niveau de la composition du répertoire ?

PMS : Non. Peut-être un morceau original du grattiste, mais c’est pas sûr.

Mr P : Et au fait... où est Sophie (flûtiste ayant participé au premier album) ?...

PMS : Elle est devenue psycho-motricienne à Paris, elle t’embrasse et te remercie pour les chocolats, ainsi que sa grand-mère qui est fan de ton blog.

Mr P : L'autoproduction est-elle un choix artistique et stratégique assumé, ou une solution par défaut ? N'avais-tu pas la possibilité de faire publier tes albums sur un label spécialisé comme Muséa ou Soleil Zeuhl, ou même Seventh ?

PMS : Bonnes questions. L’auto production est possible grâce aux ordinateurs. On peut y arriver par soi-même, la preuve. C’est l’époque du home-studio.
Le petit monde de la Zeühl me boude pour l’instant, mais je ne tiens pas absolument à faire partie d’une bande mon cher. Avec le net, je peux trouver d’autres distributeurs, comme Music by mail en Scandinavie, Cosmos en France. Je sors les albums donc à compte d’auteur, risqué, mais pas trop cher, petits tirages, et promo sur le net. On fait tous les boulots en même temps finalement.

Mr P : Pour des autoproduits, la qualité sonore des disques de Vox Nostra est étonnamment soignée. Comment vous-y êtes-vous pris ?

PMS : Merci de cette remarque. Je fais les pistes chez moi, t’as vu c’est pas très grand, le micro est très bien, et puis on finalise dans un gros studio privé.
Il faut préciser que je fais chaque piste à part, même la batterie, et on arrive à entendre un groupe qui joue vraiment, c’est du travail de studio pur mais ça fonctionne bien.

Mr P : Qui a fait le design du CD ? (qui est le pignouf qui a placé la traduction de "Mortuus amor" deux pages trop tôt ?...) Peux-tu expliquer le choix de cette image d'arbre ? Par rapport au contenu respectif de chaque album, il m'aurait paru plus logique d'avoir mis l'arbre sur le premier et l'image sombre (quoique moche et incompréhensible) sur le second...


PMS : Ça c’est l’affaire de Tatiana, la conceptrice, une ancienne mannequin ukrainienne. Adresse toi à elle, au 06 37…

Mr P : Au départ (dans le premier album) le projet avait une connotation religieuse assez marquée, ne crois-tu pas que cela ait pu te couper d’une certaine partie de ton public potentiel (chez Fuzzine il y a pas mal de gauchos/anars anticléricaux...) ? La messe en latin c'est même carrément un truc de catho traditionaliste... peux-tu clarifier tes intentions ?

PMS : C’était joli à entendre et les textes liturgiques choisis pour le premier disque sont non prosélytes. Remarque d’ailleurs que le prog grouille de références à la religion ou à une tradition comme celle des scandinaves, ou bien mythologique. Le second album, "Vox Nostra", est païen si t’as bien fait attention. Comme une chronologie de la pensée. Le chemin est long.
C’est pas une marque de fabrique le latin, je parlais plus haut d’un troisième album entièrement en français que je prépare et là nous serons dans une toute autre ambiance, comme des chansons arrangées à la sauce prog teintées de jazz.

Image extraite du clip (!) "Veni Creator". Vox Nostra, la messe en latin version Matrix...
Mr P : Que t’inspire le succès commercial que sont parvenus à obtenir certains groupes en surfant sur une vague de (pseudo) spiritualité chrétienne et / ou le chant en latin, par exemple les Prêtres ou Era ? Qu’est-ce qui (en dehors des chiffres de ventes...) distingue Vox Nostra de ces trucs généralement très nazes (je précise qu'il y a quand même certaines chansons du premier album de Vox Nostra qui sont à peu près aussi nazes) ?

PMS : Le curé, ça vend aussi du camembert et de la lessive tu sais, alors, c’est une marque de fabrique aussi. Et les prêtres, c’est pour des bonnes œuvres, on va pas les en empêcher…
Ce qui te gêne, Mr Prog, je pense que c’est le côté variétoche de certaines compos. T’as pensé un peu aux filles qui peuvent écouter comme ça du Vox, hein ? Il faut un peu de douceur parfois dans ce monde agité.

Mr P : Même sorti du contexte religieux, Vox Nostra reste un peu cucul la praline. Non ?...

PMS : Si tu parles des textes genre « bisounours », il ne faut pas se fier à la première lecture. Il y a toujours une part de sombre dans les mots. Ce sont des choses simples et essentielles. En parler simplement n’est pas cucu, juste pédagogique. On pourra dire aussi « naïf », comme une peinture.
Il y a également la raison simplement musicale des sonorités, et le latin m’aura servi à prendre ces sons particuliers pour les illustrer. C’est une recherche musicale, pas un concept marchand.

Mr P : Donc, tu comptes maintenant faire des chansons plus simples avec des paroles en français. Moi qui considère déjà que Vox Nostra sous-utilise son potentiel et devrait rechercher des approches plus expérimentales, je t'avouerai que cette perspective me fait très peur. Peux-tu dire quelque chose pour me rassurer ?

PMS : Le cas du français pose vraiment d’autres problèmes de sonorité, autant pour le chanter que pour le composer. L’expérience n’est pas forcément visible, la technique du métier ne doit pas se faire trop sentir je pense. Je voudrais rester audible en polissant un style. Il s’agit encore de musicalité pour le choix des mots et des phrases, le sens restera dans le suggéré. Pour te rassurer, il faudra écouter les maquettes à venir, je ne peux rien préciser.

Mr P : Bon et bien pour l’instant on ne peut pas dire que ça me rassure vraiment, mais on verra éventuellement le moment venu. As-tu des projets musicaux en dehors de Vox Nostra ?

PMS : Un peu de jazz peut-être…


Mr P : Question subsidiaire : qui est le plus fort au karaté, toi ou Patrick Gauthier ?

PMS : Lui probablement. Mais là j’ai commencé à faire du Krav-Maga. Salut à toutes et à tous. Merci Mr Prog de ton soutien (très) critique.

Mr P : Pas de quoi, merci pour tes réponses (et les photos). Mais je crois qu’il manque des chiffres au numéro de Tatiana.


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