Entrevue réalisée en partenariat avec Fuzzine.
Ne reculant devant aucun sacrifice, j'ai rencontré le beau et sémillant (comme dirait l'autre) Pierre Minvielle-Sébastia qui, après avoir collaboré quelques temps avec la légende zeuhl Eider Stellaire dans les années 80, dirige actuellement les progueux latinistes de Vox Nostra. Il est également l'auteur de plusieurs ouvrages de pédagogie des claviers (comme par exemple ce volume recommandé par James) et animateur sur une radio locale (RVE)...
Mr Prog (pour Fuzzine) : J'ai lu dans un journal il y a quelque temps qu'un réseau
de trafic de drogue avait été démantelé aux alentours de ton bled. Je me suis
dit alors que si la sortie du deuxième album de Vox Nostra tardait, c'est
peut-être parce que tu étais en taule. J'avais tort ?...
Pierre Minvielle-Sébastia : Mon cher Mr Prog, la pratique quasi-ascétique du
chant ne nous permet point de participer à ces trafics illégaux...
Mr P : Tu
te définis comme un artiste progressif. Le prog est redevenu moins ringard qu'à
une époque, mais ça reste une niche restreinte et un peu ingrate, qu'est-ce qui
t'attire là-dedans ? Quels liens as-tu avec d'autres artistes de la scène prog
?
PMS :
Après tout ce sont les critiques du dernier disque qui nous ont mis dans le
« prog ». C’est une classification pratique (en fait c’est du rock
néo-classique). Disons que j’essaie de faire ma musique librement avec les
moyens du bord… Ça peut évoluer vers un genre plus accessible, ce sera le cas
avec le troisième album en français, et je n’aime pas trop les sophistications.
J’ai pas trop de liens avec les concurrents…
Mr P : Tu
joins à tes envois postaux de CDs une étiquette "Fabriqué en France"
(enfin moi j'y ai eu droit, et je t'avouerai que ça m'a bien fait rigoler).
Pourquoi cette marque de fierté nationale ? Est-ce un avantage ou un
inconvénient d'être français pour un musicien, en particulier dans le genre
progressif ?
je l'ai scannée pour qu'on ne vienne pas me traiter de mytho |
PMS :
C’était une blague bien sûr, mais nous sommes peu à défendre la
« mélodie ».
Nous pouvons ici
faire aussi bien qu’ailleurs, et il est vrai qu’une certaine identité
néo-classique revient à la
France.
Dans le genre
« grosse artillerie » il y a déjà largement ce qu’il faut.
On aime bien les
artistes français… à l’étranger.
Mais ici, on manque
de moyens pour cette musique.
Mr P : Tu
m’as laissé entendre que tu avais refusé un poste de clavier au sein de Magma
pour te consacrer à Vox Nostra. Pas de regrets ?
PMS : Non,
mais j’ai passé une audition à un moment de remaniement, c’était pour faire des
synthés, et puis tu as pu entendre qu’il n’y a plus de synthés dans les
orchestrations. C’est devenu bio.
Mr P : J’aime
bien Magma mais je n’ai pas suivi leurs sorties récentes donc je ne sais pas exactement de
quoi tu parles. Bon, et si on te proposait de participer à une reformation
d’Eider Stellaire (sachant que tu travailles déjà actuellement avec le
guitariste, Jean-Claude Delachat…) ? Est-ce une idée que quelqu'un a déjà émise
?...
Eider Stellaire sur scène dans les années 80... |
PMS :
Eider Stellaire reste dans trois disques déjà.
Il n’est vraiment pas
question de le remonter pour le moment…
Mr P :
Quels souvenirs gardes-tu de ton passage dans Eider Stellaire ? Quels étaient
vos rapports avec les autres groupes de la scène Zeuhl / RIO de l'époque ?
PMS :
C’est mon meilleur souvenir de jeunesse… (il verse une larme…)
L’ambiance
était bonne avec le peu de groupes apparentés que nous voyions à cette époque,
un peu familiale. Et puis Eider a fait pendant un an la première partie de
Magma.
Passage de témoin entre deux Pierre pianistes... |
PMS : Oui,
la légende… c’est le guitariste Jean-Claude Delachat qui avait pris l’heureuse
initiative de numériser les disques. Le Bars procède d’une relation amour-haine
avec sa création. C’est un breton qui a le caractère rocailleux.
Je souhaiterais
vivement qu’il édite les deux autres disques, très intéressants et encore
actuels. En fait je joue juste un solo de synthé sur le troisième…
Mr P : Il
me semble que c’est plutôt sur le deuxième. Enfin bon... Entre la période Eider
Stellaire et Vox Nostra, tu as mené un trio de jazz. Qui étaient ses musiciens
(et quel était le répertoire) ? N'auraient-ils pas pu participer à Vox Nostra ?
PMS : J’ai
fait beaucoup de choses, notamment le métier du jazz, des compos, etc. Sans
grande répercussion sur l’avenir. Mais cela fait partie de la formation d’un
musicien. J’ai même participé à une comédie musicale de variété, écrit pour le
spectacle, le film, c’est aussi ma formation.
Un musicien de jazz
est le bienvenu dans Vox, mais il doit groover sec.
Le disque est une
chose, une projection sur scène sera très différente.
Mr P : Vox
Nostra n'était-il pas conçu à l'origine pour être un groupe de scène ? Sauf
erreur de ma part vous n'avez fait que 2 concerts en 5 ans, à chaque fois avec
une rythmique sur bande. C'est un peu gênant ?...
Vox Nostra sur scène dans les années 2010... |
PMS : Il
faut le temps de définir un style dans ce tumulte là.
Ça ne se fait pas en
un an, certes. J’attends un gros plan pour réunir d’autres gens autour d’un tel
répertoire, assez lourd à monter. Sinon, il est difficile de trouver des
personnes assez formées pour jouer les partitions de Vox. Mais tu as raison, il
y a de la scénographie dans les partitions. C’est pourquoi certains morceaux
sont longs. Par exemple, un changement de costume ou une chorégraphie réclame
un pont musical. Nous avons l’espoir de monter ça un jour, en dur.
Mr P : La
musique de Vox Nostra se voulant spirituelle et pacifique, n'aurais-tu pas
plutôt intérêt à te passer totalement de section rythmique, comme pouvaient le
faire par exemple Wapassou ou Popol Vuh à certaines périodes de leurs carrières
?
PMS :
Spirituel n’est pas un gros mot, disons que cela se limite à une proposition.
Mais quand tu suis les textes tu t’aperçois que tout n’est pas si pacifique que
ça, et que le cycle de la violence reprend. Le morceau « Anima » est
la déclaration d’amour d’un barbare par exemple… Il fait plutôt la guerre à la
guerre, car il a réfléchi avec son esprit, d’où le mot « spirituel »,
et pas « religieux ». Le lien se fait plus tard (religere :
relier en latin) sur un status-quo social. Ni bisounours, ni alleluïa, nous
sommes dans la chronique d’un temps qui se répète, voilà.
Tu as raison pour
certaines rythmiques, on pourrait s’en passer, mais je voulais donner un style
« scène » à l’album.
Mr P :
Revenons plus précisément au nouvel album. Il a longtemps été annoncé sous le
titre "Ubi es" et paraît finalement comme "éponyme" (ou
"homonyme"). La chanson "Ubis es" (dont je sais qu'elle
existe pourtant) n'est pas dessus, par contre il y a dedans une chanson
intitulée "Anima", qui était le titre du premier album. Et aussi une
chanson qui s'appelle "Vox Nostra"... Alors, c'est quoi ce bordel ?
PMS :
« Ubi es » a été complètement loupé comme morceau, il m’insupporte,
c’était lui le bordel.
De nouveaux morceaux
ont poussé le temps de la réalisation de l’album certains morceaux vers la
poubelle de l’histoire… Donc c’est "Vox Nostra", le morceau éponyme
de l’album éponyme qui a été consacré (encore un terme liturgique). Tu es toi
même tombé dans le labyrinthe. Et puis combien de fois dans ta vie as-tu
l’occasion de dire deux fois « éponyme » dans la même phrase,
hein ?
Mr P : Une
fois c’est déjà beaucoup. La gestation de cet album a été très longue, en
partie au moins à cause des difficultés que tu rencontres régulièrement dans le
recrutement de tes collaborateurs (au fait, ne me dis pas que tu as encore
perdu toutes tes chanteuses ?...). Es-tu satisfait du résultat ? As-tu dû
modifier tes plans ou faire des concessions lors de l'enregistrement ?
PMS : J’ai
obtenu ce que je voulais avec les personnes qui étaient présentes. J’aime
rencontrer des gens nouveaux aussi. Mais ça ne se bouscule pas trop au
portillon pour le moment. Dès qu’on aura du succès avec les disques (!), je
pense qu’on sera plus sexy tout d’un coup.
On a eu quand même
des galères avec les chœurs et la technique, genre un mix à refaire, tu vois,
mais bon, c’est sorti parce qu’il faut que ça sorte.
Pas de concessions,
pourquoi en faire, ça se saurait…
Jean-Claude Delachat, Pierre Minvielle, et Mickaël Drouin (voix ténor sur le 2ème album) |
Mr P : Tu
signes toutes les paroles et musiques. Les musiciens qui t'accompagnent (je
pense en premier lieu à Delachat) n'ont-ils rien à proposer au niveau de la
composition du répertoire ?
PMS : Non.
Peut-être un morceau original du grattiste, mais c’est pas sûr.
Mr P : Et
au fait... où est Sophie (flûtiste ayant participé au premier
album) ?...
PMS : Elle
est devenue psycho-motricienne à Paris, elle t’embrasse et te remercie pour les
chocolats, ainsi que sa grand-mère qui est fan de ton blog.
Mr P :
L'autoproduction est-elle un choix artistique et stratégique assumé, ou une
solution par défaut ? N'avais-tu pas la possibilité de faire publier tes albums
sur un label spécialisé comme Muséa ou Soleil Zeuhl, ou même Seventh ?
PMS :
Bonnes questions. L’auto production est possible grâce aux ordinateurs. On peut
y arriver par soi-même, la preuve. C’est l’époque du home-studio.
Le petit monde de la Zeühl me boude pour
l’instant, mais je ne tiens pas absolument à faire partie d’une bande mon cher.
Avec le net, je peux trouver d’autres distributeurs, comme Music by mail en
Scandinavie, Cosmos en France. Je sors les albums donc à compte d’auteur,
risqué, mais pas trop cher, petits tirages, et promo sur le net. On fait tous
les boulots en même temps finalement.
Mr P :
Pour des autoproduits, la qualité sonore des disques de Vox Nostra est
étonnamment soignée. Comment vous-y êtes-vous pris ?
PMS :
Merci de cette remarque. Je fais les pistes chez moi, t’as vu c’est pas très
grand, le micro est très bien, et puis on finalise dans un gros studio privé.
Il faut préciser que
je fais chaque piste à part, même la batterie, et on arrive à entendre un
groupe qui joue vraiment, c’est du travail de studio pur mais ça fonctionne
bien.
Mr P : Qui a
fait le design du CD ? (qui est le pignouf qui a placé la traduction de
"Mortuus amor" deux pages trop tôt ?...) Peux-tu expliquer le choix
de cette image d'arbre ? Par rapport au contenu respectif de chaque album, il
m'aurait paru plus logique d'avoir mis l'arbre sur le premier et l'image sombre
(quoique moche et incompréhensible) sur le second...
PMS : Ça
c’est l’affaire de Tatiana, la conceptrice, une ancienne mannequin ukrainienne.
Adresse toi à elle, au 06 37…
Mr P : Au
départ (dans le premier album) le projet avait une connotation religieuse assez
marquée, ne crois-tu pas que cela ait pu te couper d’une certaine partie de ton
public potentiel (chez Fuzzine il y a pas mal de gauchos/anars
anticléricaux...) ? La messe en latin c'est même carrément un truc de
catho traditionaliste... peux-tu clarifier tes intentions ?
PMS :
C’était joli à entendre et les textes liturgiques choisis pour le premier
disque sont non prosélytes. Remarque d’ailleurs que le prog grouille de
références à la religion ou à une tradition comme celle des scandinaves, ou
bien mythologique. Le second album, "Vox Nostra", est païen si t’as
bien fait attention. Comme une chronologie de la pensée. Le chemin est long.
C’est pas une marque
de fabrique le latin, je parlais plus haut d’un troisième album entièrement en
français que je prépare et là nous serons dans une toute autre ambiance, comme
des chansons arrangées à la sauce prog teintées de jazz.
Image extraite du clip (!) "Veni Creator". Vox Nostra, la messe en latin version Matrix... |
PMS : Le
curé, ça vend aussi du camembert et de la lessive tu sais, alors, c’est une
marque de fabrique aussi. Et les prêtres, c’est pour des bonnes œuvres, on va
pas les en empêcher…
Ce qui te gêne, Mr
Prog, je pense que c’est le côté variétoche de certaines compos. T’as pensé un
peu aux filles qui peuvent écouter comme ça du Vox, hein ? Il faut un peu
de douceur parfois dans ce monde agité.
Mr P :
Même sorti du contexte religieux, Vox Nostra reste un peu cucul la praline. Non
?...
PMS : Si
tu parles des textes genre « bisounours », il ne faut pas se fier à
la première lecture. Il y a toujours une part de sombre dans les mots. Ce sont
des choses simples et essentielles. En parler simplement n’est pas cucu, juste
pédagogique. On pourra dire aussi « naïf », comme une peinture.
Il y a également la raison simplement musicale des sonorités, et le latin
m’aura servi à prendre ces sons particuliers pour les illustrer. C’est une
recherche musicale, pas un concept marchand.
Mr P : Donc,
tu comptes maintenant faire des chansons plus simples avec des paroles en
français. Moi qui considère déjà que Vox Nostra sous-utilise son potentiel et
devrait rechercher des approches plus expérimentales, je t'avouerai que cette
perspective me fait très peur. Peux-tu dire quelque chose pour me rassurer ?
PMS : Le
cas du français pose vraiment d’autres problèmes de sonorité, autant pour le
chanter que pour le composer. L’expérience n’est pas forcément visible, la
technique du métier ne doit pas se faire trop sentir je pense. Je voudrais
rester audible en polissant un style. Il s’agit encore de musicalité pour le
choix des mots et des phrases, le sens restera dans le suggéré. Pour te
rassurer, il faudra écouter les maquettes à venir, je ne peux rien préciser.
Mr P : Bon
et bien pour l’instant on ne peut pas dire que ça me rassure vraiment, mais on
verra éventuellement le moment venu. As-tu des projets musicaux en dehors de
Vox Nostra ?
PMS : Un peu
de jazz peut-être…
Mr P :
Question subsidiaire : qui est le plus fort au karaté, toi ou Patrick Gauthier
?
PMS : Lui probablement. Mais là j’ai commencé à faire du Krav-Maga. Salut à
toutes et à tous. Merci Mr Prog de ton soutien (très) critique.
Mr P : Pas de quoi, merci pour tes réponses (et les photos). Mais je crois qu’il manque des chiffres
au numéro de Tatiana.
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