lundi 30 janvier 2012

Les Tueurs de la Lune de Miel / The Honeymoon Killers (1982)

Crammed Discs (Gaumont) 753810


Le groupe étant belge a deux noms, l'un en français et l'autre sa traduction en flamand loupé, anglais. Comme ça selon le territoire où l'on se trouve on peut supposer que celui qu'on veut est le nom du groupe et l'autre le titre de l'album (bien que la logique la plus élémentaire impose de se souvenir que le même groupe, ou presque, avait déjà enregistré un premier album sur le micro-label de Marc Moulin, et que son nom véritable est donc bien le français).

Les Tueurs de la Lune de Miel, ou, donc, les Honeymoon Killers if you speak English, sont (tels que photographiés à l'arrière de la pochette) :

(car il y a une logique dans la disposition, mine de rien...)
1ère colonne : Marc Hollander (claviers) et Vincent Kenis (basse), c'est à dire en fait Aksak Maboul (c'est pour ça que le disque est sorti chez Crammed Discs...)
2ème colonne, ce qui restait des Tueurs d'origine : Jean-François Jones Jacob (batterie), Yvon Vromman (guitare, chant) et Gérald Fenerberg (guitare)
3ème colonne : les pièces rapportées Yves Flon (saxophone, même pas considéré comme un membre du groupe en réalité) et Véronique Vincent (mise là pour allumer les journalistes rock qui fantasmaient jusqu'alors sur Debbie Harry chant).

Le chef du groupe (qui signe presque toutes les paroles et musique) était Yvon Vromman (mystérieusement décédé en 1989), avec sa tronche à peine croyable (on dirait un dessin de Franquin devenu vivant), son débit vocal traduisant le plus souvent une certaine forme d'énervement, et ses idées de scénario de chansons hilarantes ou sordides (au choix ou les deux en même temps) - les textes sont une composante importante du produit fini, et frappent d'autant plus que leur économie de moyen (ou leur ambiguïté) permettent de reconstituer leurs histoires avec une marge variable dans le degré de perversité (par exemple, sans rentrer dans une analyse détaillée du reste [spoiler], dans "J4" sur quoi Sophie [seul personnage dans tout l'album à avoir un nom] est-elle montée, quel est son âge et quelle est sa parenté exacte avec le type ? l'interprétation usuelle, motivée par l'illustration au dos du maxi des "Subtitled Remix" [un truc sorti un ou deux ans après l'album pour consolider la réputation du groupe dans les zones anglophones, où de nouveaux textes en anglais sont rajoutés par-dessus 3 des morceaux...] fait de Sophie sa femme grimpée dans un arbre ; pourtant à la base le texte lui-même ne mentionne pas explicitement l'arbre, et il paraît quand même bizarre de promettre entre autres babioles "le caniche de Barbie" à une femme adulte...). La scénarisation aurait peut-être pu être poussée davantage en conceptualisant carrément l'album (d'ailleurs au départ j'ai cru que la femme décrite dans la première chanson ["Flat"] était celle qui s'exprimait dans la deuxième ["Histoire à Suivre"], mais ça n'a pas l'air d'être ça...), mais ça serait peut-être allé trop loin dans le sens d'une intellectualisation qui aurait nui à la démarche humoristique poursuivie.

A l'époque de sa sortie l'album avait eu un petit succès international, bien soutenu en particulier par les critiques (à commencer par les anglais qui ne comprenaient les textes qu'au travers de traductions approximatives - si approximatives qu'elles étaient accompagnées sur l'insert d'une exhortation à apprendre le français...) parce que Véronique est bonne la musique est bonne, et très ancrée dans ce qui se faisait alors : on peut faire des comparaisons plus ou moins foireuses avec les B52's pour une grande partie des chansons (mais le pedigree avant-gardiste des musiciens se ressent, bien que camouflé derrière un écran comique ; et la technique instrumentale est plus stricte, par exemple ce que Marc Hollander tire de ses orgues est certainement plus complexe que ce que fait ordinairement Kate Pierson - en fait il occupe ici une position un peu comparable à celle d'Irmin Schmidt dans Can : souvent très discret en apparence mais en vérité virtuose et essentiel à la réussite de la musique du groupe). Ce qu'on peut faire sinon comme rapprochement dans l'esprit est avec un autre groupe expérimental ayant eu un succès commercial sur un quasi-malentendu avec des reprises iconoclastes qui ont fait oublier le reste, à savoir les Flying Lizards, dans la mesure où on rencontre ici un Charles Trenet plus viril que l'original ("Route Nationale 7" dont le single s'était si bien vendu en France que la pochette du pressage français chez Gaumont a été affublée d'un bandeau rappelant la présence de la chanson dans l'album, au risque de faire croire même que c'en est le titre) dont l'arrangement new-wave vaut surtout par le solo de claviers greffé au milieu, une France Gall punk ("Laisse tomber les Filles") qui n'est pas d'une originalité confondante, et une Sheila robotique ("L'Heure de la Sortie") à interpréter probablement comme un hommage à Telex (coupable de nombreux forfaits du même genre...) dont le tempo ralenti rend la plaisanterie longue et douloureuse, ce qui constitue d'autant plus une faute que c'est ce qui sert de conclusion au disque. Comme chez les Flying Lizards, donc, les compositions originales sont en fait les plus intéressantes (avec un bémol peut-être pour l'instrumental un peu longuet "Ariane" qui peut faire imaginer ce qu'aurait pu être le résultat d'une collaboration entre Roxy Music et Pierre Henry)...

La pochette française...
Pour résumer : un album qui tient la route (et pas que la nationale 7...) malgré quelques imperfections (en particulier un séquençage peu judicieux qui garde le pire pour la fin).


En supplément, un petit tour sur Youtube où on trouve plusieurs trucs intéressants, notamment du live avec Vincent Kenis remplacé par Christian Genêt (qui trainait normalement plutôt avec Univers Zéro ou Present, ce qui explique le look) et le texte du "Subtitled Remix" rajouté dans un intermède où Fenerberg réinvente le bottleneck... :


et les clips officiels :
le classique, le tube "Route Nationale 7" où Yvon profite du pont pour aller assassiner Véronique (en brune) dans les toilettes de la station service (ce qu'il a peut-être regretté de ne pas avoir fait en vrai quand le groupe a explosé...) :

"Flat", le plus surréaliste (pour mon passage préféré, j'hésite entre le solo de guitare et la tyrolienne) :

mais celui que je préfère c'est "Décollage" ne serait-ce que pour la gueule de Vromman déguisé en bonne-femme, avec un vrai (hu ?) scénario (bien que son seul lien véritable avec celui du texte soit le décor d'aérodrome, et que je ne comprenne pas vraiment la fin, ni pourquoi Hollander porte un dentier de Dracula) et des vraies performances d'acteurs (le vrai tueur on voit maintenant que c'est J.-F. J. J. ... et Yvon et Véronique jouent trop bien la peur) :

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